lundi 27 mai 2013

Tsukioka SETTEI, Rouleau des quatre saisons, ca. 1770

 
 "Printemps"

 
"Été"

 
"Automne"

 
"Hiver"

Rouleau des quatre saisons, encre sur soie, 24,6cm x 67,8 cm chacun, collection Michael Fornitz

samedi 18 mai 2013

Marcel VERTES, "L'Ombre", extrait du portfolio Le pays à mon goût, Paris, 1921


Nous connaissons tous Marcel Vertès (1895-1961), artiste hongrois venu en France au début des années vingt, qui fut un dessinateur recherché des revues de mode, peintre du monde forain, de la nuit parisienne et des maisons de tolérance, pour finir tardivement consacré par l'Académie -non pas à Paris, mais à Hollywood pour son travail de décorateur et de costumier sur une production cinématographique de John Huston à laquelle il contribua à donner, tant que faire se peut, sa "couleur locale" (1).

A l'instar de son compatriote Alex Székely (qui lui rendit,  à l’occasion de sa mort, un vibrant hommage que nous tâcherons de vous présenter prochainement), quoique dans une manière sensiblement différente, il magnifia la beauté des femmes (2) et excella dans le dessin pornographique. L'estampe que nous vous proposons est extraite de l'un de ses premiers portfolios, constitué d'eaux-fortes tirées par l'auteur lui-même. Mais voyons cette "Ombre" de plus près.

L’action, sordide, est hors-cadre. Nous nous trouvons dans quelque immeuble insalubre du 18e arrondissement –au fond du passage de Clichy peut-être, là où prolifèrent les rats, la vermine et, mijotant dans son crachat, le bacille fatidique, tandis que flottent mêlées les effluves nauséabondes des ordures ménagères d'arrière-cour et les remugles du chou cuit qui s’échappent des cuisines. Une lumière crue (miracle de la fée électricité ?) inonde une scène au contours tracés au cordeau sur laquelle se projette, pareillement à une éclaboussure vitriolée, l’ombre d’un couple surpris en une fort scabreuse position.

La femme, une professionnelle certainement, agenouillée, bouche avide, paraît soupeser avant de les lui vider (3), les bourses d'un homme fébrile qui relève les pans de son veston pour dégager un attribut viril en pleine tension. Les figures de profil, caricaturales, sont saisies dans une expression grimaçante à cent lieux de l’extase voluptueuse à laquelle nous habituent les classiques du genre. Mais s’agit-il ici réellement d’érotisme ? La question n’est pas douteuse, en revanche, la dimension explicite de la scène, en dépit de son subtil décadrage, la rattache à la plus franche pornographie, ce qui justifie pleinement, eu égard à sa saisissante originalité et son outrageuse véracité, l’inscription de cette estampe dans notre petite chrestomathie.



(1)  Il s'agit de Moulin Rouge, 1952.

 (2) Auxquelles, reconnaissait-il, "il devait tout":  « Je suis né il n’y a pas si longtemps en Hongrie. J’étais destiné à la carrière d’avocat, mais j’ai senti que ma vocation était de dessiner des avions. Un jour ma jolie petite sœur vint me voir. Mon bleu empestait l’huile, mes mains abimées étaient pleine de graisse. Elle fondit en larmes et avoua qu’elle avait rêvé d’un autre sort pour son frère. "Sois un artiste", supplia-t-elle, se souvenant des descriptions d’ateliers dans ses romans favoris, avec des divans recouverts de fourrures et des mandolines accrochés au mur. Comme argument décisif, elle ajouta en baissant les yeux que les artistes peignent des femmes nues. Je fus tenté et avec l’aide de ma sœur ainée Dola (je dois tout aux femmes), je partis pour Paris où j’essayais de réaliser les rêves que ma sœur avait fait pour moi » (propos recueillis par Vogue cités dans Ma galerie à Paris.

(3) Afin de compléter le dialogue donné il y a quelques jours en manière d'illustration, voici quelques précisions utiles en la matière, puisées à la même source: « On n’a pas besoin d’avaler !… Écoute que je te dise ; t’ouvres la braguette du pante, t’y sors sa queue. Si qu’il bande pas, tu te branles une minute en y disant des saloperies : “Cochon, que t’y dis, tu fous les petites mômes dans la bouche. Gros polisson, tu vas m’en faire siffler, du sirop de couillons.” Enfin quoi, des conneries. Et pis tu retrousses ta jupe, tu y fais peloter ton cul. Attention seulement qu’il ait pas d’ongle… Quand qu’il est bien raide, tu chopes son nœud dans ta bouche comme qui dirait un sucre d’orge et tu suces en remuant la tête. Sitôt qu’il a fini de juter, tu mollardes son paquet de blanc et tu y dis : “Bonsoir chéri.” C’est pas plus difficile que ça. » Pierre LOUYS, "Dialogue des goules" in Douze douzains de dialogues.

lundi 13 mai 2013

Marcel VERTES, L'Ombre, 1921


IV

COIN DE RUE

"Ah ! Quelle chierie de métier !
- Qu'est-ce qu'on t'a fait  ?
- On m'a fait que j'en ai basta de me monter du blanc dans la bouche à six fois l'heure. Avec les michés de Paris c'est toujours la même chanson. "Allez ! embrasse-la moi... j'aime pas baiser, j'aime mieux une plume." Ma parole, je sais plus pourquoi c'est faire que j'ai un con.
- Pour pisser. Mes clients c'est la même chose. "Baiser ? macache ; suce-moi un coup." Et y en a pas un sur douze qu'a la politesse de vous bouffer le cul pour la peine.
- Ma petite, tu me croiras si tu veux, mais aujourd'hui samedi, j'en ai fait onze de pantes, eh bien, sur onze hommes, onze plumes. Ah ! tu sais, la onzième pine qui m'a pissé dans la bouche, j'ai cru que j'allais dégobiller.
- Là ! là ! je te crois que c'est dégueulasse. Et tout le monde n'a pas le foutre bon.
- Mais bordel de nom de Dieu, j'ai seize ans, nom de Dieu de merde ! avec quoi que je turbinerai quand ça sera que j'en aurai cinquante !"

Pierre LOUYS, "Dialogue des goules" in Douze douzains de dialogues.

lundi 6 mai 2013

Jeunesse, un portfolio par André COLLOT (1897-1976)

“Il faut que jeunesse se passe” …

Voilà bien un de ces lieux communs propres à exciter la verve exégétique d’un Léon Bloy, et que chacune des images proposées précédemment pourfendent en ce qu’elles semblent, en immortalisant l’instant fugace, avoir cristallisé comme par enchantement la jeunesse même surprise insouciante dans une extase éternelle. Non, jeunesse ne passera pas.

Ce portfolio, disons le franchement, est le chef-d’œuvre de son auteur, André Collot, dessinateur français prolifique à la carrière au long cours qui s’est fait une spécialité de l’illustration de romans en tout genre. Cependant, c’est sur une courte décennie, celle des années 30, qu’il aura donné le meilleur de lui-même -du moins pour la partie qui nous intéresse, car au-delà, force est de constater qu'il se heurta bien vite aux écueils de la facilité et sombra dans la répétition adoptant une manière portée par une hardiesse gauloise dénuée de toute subtilité.

Mais revenons à cette série d’estampes où l’artiste paraît comme en état de grâce. Il y présente une figure aimable, gracieuse, à l’opposé de la face sombre et parfois même effrayante que ce Janus a pu révéler (en témoigne son interprétation des 120 journées de Sodome de Sade à laquelle nous nous attarderons plus tard, s’il nous en est donné le loisir) qui magnifie l’élan vital propre à la jeunesse, dans une variété de jeux et de positions enivrante. Notre dictionnaire nous apporte à ce sujet cette définition: “temps de la vie entre l’enfance et la maturité” puis cette autre: “les personnes jeunes des deux sexes; les jeunes”. Et pour cause, dans le dessin pornographique c’est la jeunesse qui presque toujours triomphe, magnifiée sur le papier par des artistes qui bien souvent, ne le sont plus guère. Ainsi notre homme André Collot alors âgé de 36 ans et comme pour reculer la venue du spectre de sa propre jeunesse, traduit-là la fougue animant un duo adultère, la passion de jeunes époux, l’inventivité de jeunes amies se livrant au tribadisme, ou bien les jeux de quelques solitaires se réfugiant dans la manstrupation (pour parler la langue de Casanova). Une jeunesse dorée, de belle figure et qui ne rougit pas, semblant tout ignorer des remous -nous sommes en 1933, qui font tanguer le navire …

Il faut admirer le trait de crayon, précis et économe, une épure qui fait scintiller les plus anodins détails (une montre-bracelet, un éphéméride, une jarretière, une corbeille renversée, ou bien une goutte de liqueur vénérienne), aussi les ombres qui soulignent la fermeté de ces jeunes corps, la subtilité infinie des nuance de gris qui nous font songer aux maîtres de l’ukiyo-e, ces couleurs tendres conférées aux chevelures, aux vêtements, et ça et là, ces rehauts, pour la carnation.

Aussi sommes-nous heureux de partager avec vous ces quelques images qui répondent le mieux à la vocation essentielle du dessin pornographique: servir, tel le symbole au concept, de support à l’imagination défaillante.

Source et  éléments bibliographiques

samedi 4 mai 2013

André COLLOT, Jeunesse, 1933, (1/2)

Alex SZEKELY, En forêt [femme qui pisse], 1961


 Inauguration


Nous ignorons tout ou presque d’Alex Székely (1901-1968) qui signait laconiquement Al.

Dessinateur actif au siècle dernier, du début des années 40 à la fin des années 60, vraisemblablement hongrois, nous ne lui connaissons point d’œuvre qui n’ait été, au moins érotique.

Graphomane inlassable, extraordinairement productif, à l’imagination débridée et à l’enthousiasme communicatif, il explora de la pornographie à peu près tous les domaines, les figures imposées, et du dessin toute les techniques et les styles, affichant toutefois sa prédilection pour les scènes de groupe. Aussi sera-t-il régulièrement mis à contribution dans cette anthologie du dessin pornographique (car tel est l’objet vers quoi tendent ces modestes pages), que nous choisissons d’inaugurer par cette femme qui pisse.

Nuit de pleine de lune, dans un bois, deux silhouettes d’hommes à l’arrière-plan à gauche et à droite urinent chacune contre un arbre, tandis qu’au premier plan une femme se tient de face, accroupie, jambes écartées et la jupe troussée lui découvrant le sexe. La tête penchée, visage serein, elle regarde consciencieusement son pipi s’écouler, ou bien y contemple-t-elle son reflet.

Onzième illustration d’une série (Al travaille toujours ses dessins en séries, qu’il  numérote méthodiquement en haut droite de la feuille), cette image tardive (1961) -dont nous ne savons rien du contexte qui a présidé à sa réalisation, bien loin de la trivialité d’un Rembrandt sur un thème voisin, est empreinte d’une étrangeté, d’un onirisme doux, qui nous touchent au plus haut point. La mine de plomb en estompe fait naître le modelé délicat des seins pommelés, le luisant des bas et la grâce d’un visage idéalisé, quand l’arrière-plan est esquissé avec une désinvolture extrêmement maîtrisée.

La composition de l’image évoque la forme d’un  blason, d’un écu. Puissions-nous demeurer placés sous cette égide protectrice et nous complaire, pour longtemps, gageons-le, dans l’obscène, l’abject et la dégradation à laquelle nous contraint cette entreprise que nous menons, à fins purement scientifiques !