(…) On dansa une contredanse qui dura une heure, dont j’ai
cru ne devoir pas me mêler ; mais après la contredanse, voilà un Arlequin
qui avec l’impertinence permise à son caractère vient me fesser avec sa batte.
C’est l’arme d’Arlequin. En qualité de Pierrot n’ayant point d’arme, je le
saisis à la ceinture, et je le porte par tout le parloir en courant tandis qu’il
poursuivait à me frapper de sa batte sur le derrière. Son Arlequine qui était
la gentille qui avait dansé avec moi accourt au secours de son ami, et me
frappe aussi de sa batte. Je dépose alors l’Arlequin, je lui arrache sa batte,
et je me mets l’Arlequine sur les épaules la frappant sur le derrière, et
courant à toutes jambes par le parloir au bruit des risées, et des cris de peur
de la petite qui craignait si je tombais de montrer ses cuisses, ou ses
culottes. Mais un impertinent Polichinelle déconcerta tout ce combat comique.
Il vint par-derrière me faire un si rude croc-en-jambe, que j’ai dû tomber.
Tout le monde le hua. Je me suis vite levé, et fort piqué j’ai entamé avec cet
insolent une lutte dans toutes les règles. Il était aussi grand que moi. Etant maladroit,
et ne sachant que se servir de sa force, je lui ai fait mordre le terrain, et
je l’ai si bien manié que son habit se déboutonnant il perdit sa bosse du
derrière, et son ventre postiche. Au bruit des claquements des mains, et des
risées de toutes les religieuses, qui n’avaient peut-être jamais joui d’un
pareil spectacle, j’ai saisi le moment, j’ai percé la foule, et je me suis
sauvé.
CASANOVA, Histoire de ma vie, vol. III, "3e fragment de mes mémoires", Paris, 2013
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